Nous dirions même plus, un résultat de moins de 20% des voix remettrait sa stratégie en cause. Les marinistes les plus fanatiques ne se gargarisent-ils pas en parlant de la candidate de 20% des Français? C'est le chiffre qui revient constamment sous leur plume. On les attend de pied ferme. Mais que les optimistes ne croient pas que le résultat, quel qu'il soit, changera quoi que ce soit : on peut supposer que MLP ne se remettra pas en question et s'accrochera à son parti, le Rassemblement Bleu Marine, comme une moule à son rocher. Tant que ça la fera vivre, du moins.
Marine Le Pen affirme ne pas croire aux sondages qui la mettent loin des deux premiers et derrière Jean Luc Mélenchon. Elle promet d’être la surprise de cette élection .Elle affirme représenter la France silencieuse, qui souffre et revendique son histoire, avec fierté. Elle y croit comme jamais. Bonne analyse ou méthode Coué? L’avenir le dira.
Ce qui est certain, c’est que son assurance n’est pas partagée par tout le monde, au sein du FN. Les critiques contre ses positionnements et sa campagne se font de plus en plus vives. La Droite populaire dissidente, qui n'a pas réussi à présenter Carl Lang, y trouve la justification de sa critique envers la "ligne bleue marine".
C’est vrai aussi au sein du parti, et pas seulement chez ceux qui auraient préféré une candidature Gollnisch. Certains proches confient qu'un résultat sous la barre des 15 % serait un échec qui remettrait en cause la ligne du parti. Les mêmes expliquent les raisons des difficultés d’une campagne qui selon eux est loin de tenir ses promesses.
Il est certain que six mois en arrière, le tout Paris politico-médiatique se faisait peur, assurant que la fille du « borgne » serait présente au deuxième tour. On n'en est plus là. Les mêmes affirmaient, par ailleurs, que Sarkozy n’avait aucune chance de rebondir, qu’il était cuit. Cela relativise leurs pronostics. Mais au-delà des analyses-air du temps des girouettes-médiatiques de l’idéologie dominante, des éléments sont indiscutables.
Le FN de Marine Le Pen est en rupture, sur certains points, avec celui de papa. Le premier est sur le discours relatif à la Deuxième guerre mondiale. Le changement de ton n’a pas apporté le bénéfice attendu. Il a permis d’éloigner les fascistes durs et purs, que Marine d’ailleurs déteste vraiment et qui le lui rendent bien. Mais il n'a pas fait avancer le dossier du voyage en Israël, qui était le grand objectif recherché. La communauté juive, quoique sans hostilité marquée, reste sur une grande réserve. L’absence de provocation ou de révisionnisme sur l’histoire officielle n’a pas désarmé les suspicions. C’est de ce point de vue un échec.
La volonté de respectabilité a affadi le discours antisystème et la virulence est passée du côté de Mélenchon. La "grande gueule" c’est lui; tous les meetings retransmis en direct le prouvent. Le discours FN s’est embourgeoisé; il est moins à gauche ou ressenti comme tel, en tout cas par certains électeurs en rupture de système.
Sarkozy occupe le terrain du danger islamiste. On peut trouver incroyable qu’il soit cru à nouveau sur l’immigration et certaines de ses conséquences, mais le fait est là. Certains cocus semblent en redemander.
La thématique anti-européenne se heurte au sentiment de nombreux électeurs persuadés qu'une sortie de l’euro serait finalement pire que maintien. Et à côté des souverainistes au FN, il y a aussi des partisans de l'Europe au travers d’une sorte de confédération impériale. D’une Europe différente et sachant se faire respecter. Les souverainistes ont d’ailleurs un candidat.
Le FN se trouve face à l'offensive droitière de Sarkozy, au retour de certains électeurs populaires à la gauche de la Gauche, à l'inquiétude des classes moyennes et des petits patrons face au discours anti-européen et surtout face à la normalisation d’un parti de rupture, qui devient une offre du système.
La présidente du FN a senti le danger et se présente comme la seule candidate de la fierté française, d’une révolte sociale assumant une histoire et une civilisation. Mais comment incarner la rupture après avoir voulu la normalité? Peut-on jouer sur les deux tableaux? Ce n’est pas certain.
C’est son pari; elle reste persuadée de pouvoir le gagner. Le doute gagne cependant certains de ses partisans. Ceux qui considèrent qu'elle a trahi les « fondamentaux historiques », au nom de la course à la respectabilité, se préparent au procès en cas d’échec.