Par Léon Camus
Le 8 mars nous avons senti passer de très près le vent du boulet. L’offensive sur l’Iran était à l’ordre du jour et il s’en est fallu d’un cheveu… mais l’opposition des militaires, tant à Tel-Aviv qu’à Washington, a eu raison de la virulence des “politiques”, néoconservateurs et autres Likoudniki, Netanyahou et Obama en tête. N’aiment et ne désirent vraiment la guerre que ceux qui ne la connaissent pas et ne la pratiquent que depuis leur bureaux ou sur le papier, en écrivant l’histoire avec leur plume trempée dans le sang des autres.
Ne pouvant frapper l’Iran, Tsahal s’est mis par dépit à matraquer la bande de Gaza, une vengeance à sa mesure. Gaza d’où sont partis d’opportuns tirs de roquettes artisanales al Quod(1), improprement nommées “missiles” par une presse perpétuellement atteinte d’un fort strabisme divergent. Les morts gazaouis— vingt-cinq au 12 mars— ne valent en effet pas de commentaires. Autant la presse occidentale se complaît à donner un bilan quotidien des victimes syriennes, autant elle ne voit pas les cadavres qui «sortent du cadre»… les victimes collatérales d’une guerre dont pourtant elle— la presse officieuse et zélée— s’est fait le vecteur, ne distinguant pas les civils des militaires, les rebelles salafistes des morts collatérales d’innocents, les mercenaires des loyalistes… bref prodiguant larmoiements et compassion à l’égard de ceux qui cherchent à jeter leur propre pays dans le brasier de la guerre civile! Une guerre intercommunautaire, mais au nom de quoi et pour quoi? De la démocratie soi-disant! En vérité par haine confessionnelle (sunnite contre Alaouite chiite) et par soif de vengeance (venger l’écrasement en février 1982 des radicaux musulmans à Hama par Hafez el Assad après la tentative d’assassinat du Raïs par les Frères musulmans?), par appétit phylogénétique d’épuration ethnique?
Une presse qui dans ce cas se présente comme l’ardent défenseur de la Liberté et de la Démocratie mais en réalité agit comme un poste de tir avancé pour l’artillerie lourde de la guerre des mots et des images. La guerre majeure du XXIe siècle, celle par laquelle les peuples finissent par ignorer qui les dirige, par croire qu’ils sont en paix alors que leur propre pays est en guerre permanente, qui réécrit l’Histoire au seul bénéfice des vainqueurs pour mieux harasser les vaincus et rendre dociles les prétendus vainqueurs qui n’ont fait que tirer les marrons du feu au profit de minorités dominantes.
Reste qu’en Syrie le rouleau compresseur occidentaliste ne semble plus ni devoir, ni pouvoir faire machine arrière. Seul obstacle, l’intransigeance du Kremlin qui a bien compris qu’après Assad, Vladimir Poutine arrive en second sur la liste des coups d’État et des “renversements” à venir… ceux qui ne disent pas leur nom et se cachent derrière une chimérique volonté populaire, pur produit de ce qu’autrefois les révolutionnaires marxistes nommaient “agit-prop”. Agitation et propagande démesurément amplifiées par les porte-voix électroniques des «réseaux sociaux». La foule n’est jamais si bien tenue que quand elle se croit libre!
À Moscou les oppositions fourbissent leurs armes, soutenues en sous-mains et encouragées par la voix de l’Occident désintéressé et des globalistes truqueurs des bilans grecs. Gouvernements aux ordres, technostructures et médiacrates, tous appliqués à remplir le cahier des charges que leur ont remis les cryptarchies— autant dire les mafias tribales— qui, de Londres à Shanghaï, de New-York à Francfort via Tokyo et Paris, s’entendent désormais à mettre la planète en coupe réglée… et les peuples au pas !
L’IRAN NE PERD RIEN POUR ATTENDRE
Ainsi donc, pour des raisons certainement assez éloignées de la pure philanthropie, les classes dirigeantes américaines et israéliennes se montrent aujourd’hui très divisées quant à l’opportunité d’une offensive aérienne sur les sites nucléaires iraniens et au-delà sur l’hypothèse d’un renversement du régime par la force, au moins dans l’immédiat.
Le 8 mars, le président de la Commission de la Défense et des Affaires étrangères de la Knesset, le lieutenant-général Shaul Mofaz, ancien chef d’état-major et ministre de la Défense de l’Etat hébreu, réagissait sur Radio Israël au discours de Benjamin Netanyahou à Washington le 5 mars (par conséquent la veille de sa rencontre «au sommet» avec le président américain) devant les milliers de sionistes fanatiques de l’AIPAC, en dénonçant le caractère fallacieux de la présentation faisant de l’Iran et de son programme nucléaire, une menace imminente pour Israël.
Le même jour, faisant écho à leur collègue israélien, douze hauts gradés américains du cadre de réserve de l’armée et du renseignement montaient au créneau par le truchement d’un «encart publicitaire» d’une pleine page dans le Washington Post, jugeant à l’identique que l’«action militaire contre la République islamique d’Iran à l’heure actuelle n’est non seulement pas nécessaire et qu’elle-même serait dangereuse, tant pour les États-Unis que pour Israël… Nous vous demandons [à Obama] de résister à toute pression en faveur d’une guerre préventive contre l’Iran», concluant en ces termes: «l’armée des États-Unis est la plus formidable force existant en ce monde, il n’en reste pas moins que tous les défis n’ont pas toujours une solution militaire»!
Parmi les signataires du libelle notons le Général Martin Dempsey, chef d’état-major des armées des États-Unis depuis octobre 2011 et l’ancien Secrétaire à la Défense Robert Gates ainsi que Paul Pillar, ancien chef d’antenne de la CIA au Proche-Orient qui, de son côté, n’hésite pas à enfoncer le clou, toujours le même jour, dans le Washington Monthly, insistant sur le fait que «personne ne peut connaître toutes les conséquences d’une guerre avec l’Iran, et en ceci réside la principale question préalable à toutes propositions de recours à la force contre le programme nucléaire iranien. Il est cependant assuré que les conséquences négatives au regard des intérêts américains seront très probablement sévères».
D’un point de vue partagé par Pillar et Dempsey, la classe politique et les militaires iraniens sont et restent jusqu’à preuve du contraire des acteurs rationnels dont le propos ultime est assurément de sanctuariser leur territoire— en d’autres termes, mûs par une logique purement défensive et dissuasive— et non de porter la guerre à l’extérieur alors que le rapport de forces joue absolument en leur défaveur… «Un Iran doté d’une arme nucléaire serait loin d’être aussi dangereux que l’on veut bien le croire ou le faire croire», soulignant en outre que l’absence de «menace existentielle iranienne» pour Israël est communément admise par la plupart des dirigeants politiques et militaires de l’État hébreu hormis une poignée d’excités, tout comme aux États-Unis où une «telle menace est brandie de façon hystérique par une faction comprenant aussi bien des néoconservateurs que des Démocrates, y compris le Président Obama».
Dans un second article publié le lendemain (le lundi 6 mars, jour de l’entretien décisif Netanyahou-Obama), dans The National Interest, Pillar remarque à ce propos que «les remarques du président [Obama] sur la manière dont aucun gouvernement israélien ne peut tolérer l’arme nucléaire dans les mains de l’Iran, ainsi que sa référence au droit souverain d’Israël à décider de sa seule autorité ce dont il est besoin pour remplir ses besoins en matière de sécurité, sonnent presque comme une invitation [implicite] à Netanyahou pour qu’il lance une attaque». Insistant lourdement sur l’aspect contreproductif d’une action à contretemps: «Il n’est pas prudent à ce moment précis de décider d’une attaque sur l’Iran[…] Je pense qu’il serait prématuré de décider de manière unilatérale que le temps est venu de recourir à l’option militaire[…] Des frappes à l’heure actuelle auraient un effet déstabilisateur et ne permettraient pas [à Israël] d’atteindre ses objectifs à long terme». […]